Note des rédacteurs : à ceux qui ne nous ont pas du tout envié la traversée, cette partie risque de vous parler un peu plus.
Après notre traversée mouvementée depuis la Nouvelle-Zélande, nous aspirions à un repos mérité. Nos préoccupations premières : faire sécher vêtements et matelas, pour dormir au sec et sortir de l’humidité permanente qui nous accompagne depuis plusieurs jours. Mais nos aspirations ont vite été douchées : d’une part c’était encore la fin de la saison des pluies aux Fidji, mais en plus il n’y avait aucune raison à ce que la tempête qu’on a traversée disparaisse subitement des radars sous prétexte qu’on est arrivés. C’est donc sous une averse gratinée qu’on pose l’ancre.
Le temps maussade rend nos premiers jours assez décevants. Les iles sont certes belles, volcaniques, escarpées et entourées de lagons de corail ; mais sous un ciel menaçant régulièrement entrecoupé d’averses, l’effet carte postale attendu n’y est pas.
En plus de ne pas pouvoir faire sécher les affaires, la vie à bord se fait moins agréable aussi. Pendant les 10 jours de traversée, l’objectif commun et les conditions pas toujours évidentes soudaient l’équipage. Maintenant qu’on ne navigue plus de nuit et ni même toute la journée mais seulement quelques heures pour changer l’ancrage de crique, on est moins fatigués mais on s’agace mutuellement un peu plus, d’autant que la pluie nous confine une bonne partie du temps à l’intérieur du bateau.
Les envies divergent dans cet espace restreint, chaud et humide, et sont parfois difficilement compatibles : l’apprentissage du ukulélé par nos amies hippies à coup de sessions de 3h d’affilée à rater les 4 premiers accords de « Here comes the sun » rentre directement dans mon notre Top 3 Torture Mentale. Et ça, c’était avant qu’elles ne repèrent le tambourin et s’improvisent compositrices pour raconter nos aventures en musique, avec un enthousiasme et un talent créatif qui ne sont pas sans rappeler un spectacle de fin d’année de CM1.

Déjà 3 semaines de combo autarcie / promiscuité à 7, c’est le moment de se souvenir que Koh Lanta se gagne au mental, et que s’il avait gardé ses nerfs, Moundir aurait sûrement été plus loin dans l’aventure. A la différence de l’émission, on mange toujours aussi bien, mais j’imagine sans peine qu’avec la faim en plus, les producteurs n’aient pas à tirer beaucoup sur la corde pour obtenir quelques scènes de ménage gratinées.
En parlant de scènes de ménage, le temps a fait son œuvre et, hormis vos serviteurs, sur les 5 personnes restantes à bord (Micha, Cyrus, Gabrielle, Yuki, Julia), 2 couples / amours de vacances se sont formés. 15 combinaisons possibles mais Cupidon n’en a choisi qu’une. Les plus curieux peuvent tenter de deviner (en commentaire de l’article), et on offrira peut-être une bière aux chanceux plus fins connaisseurs de l’âme humaine.
Au bout d’une semaine, nous rejoignons le côté sous le vent de l’île : les reliefs nous protègent enfin des précipitations et le paradis ensoleillé s’offre à nous. Les Fidji, c’est plus de 330 îles, dont un bon paquet sont inhabitées, donc un bonheur d’exploration quand on a un bateau.

En quelques heures de navigation, nous trouvons notre première île déserte, qu’on aborde dans une liesse de libération collective.

Chacun peut enfin vaquer à ses envies sur le pont, sous la mer ou sur l’île. Pendant que notre matelas régurgite ses dernières gouttes, nous partons escalader (en tongs sur des rochers glissants pour Brieuc, paie ton génie et tes coupures sous les pieds) les sommets de l’île. Julia joue du ukulélé sur un promontoire rocheux, Cyrus chasse dans le récif et pose le casier à homards, Yuki grimpe aux cocotiers à moitié nue, et Micha répare des trucs. On pense à Gabrielle, qui a quitté le bateau la veille pour rentrer en France et qui n’aura jamais vu les Fidji sous le soleil…
2 jours à profiter qui se terminent par une soirée autour du feu sur la plage, avec notre dîner qui cuit dans les braises pendant qu’on décortique quelques noix de coco sous les étoiles. Un petit goût de survie pas loin d’un film, car on apprendra peu après que c’est l’île qui a servi de lieu de tournage pour Seul au monde avec Tom Hanks, qui joue un livreur FedEx transformé en Robinson Crusoé moderne.

Il ne nous manque plus qu’un peu de vent pour kiter et / ou un déco de parapente viable, et on serait vraiment au top. On se remet donc en route, à naviguer entre ilots déserts et îles aménagées avec hôtels et plages privatisées, quand parfois ce n’est pas l’île complète qui est privée. Les Fidji sont un des lieux privilégiés de tous les anglophones du Pacifique (US, Canada, Australie, NZ) qui veulent se dorer la pilule sous les tropiques sans se compliquer la vie à parler autre chose que l’anglais. Pas d’exagération de notre part : nos voisins à la marina, des américains en vadrouille dans le Pacifique, nous ont expliqué qu’ils n’iraient pas en Polynésie car ils ne parlaient pas français et n’avaient pas envie d’avoir à s’adapter.
Notre vadrouille se termine par quelques jours à Musket Cove, splendide baie abritée avec sa marina aménagée, qui servirait facilement de décor à un James Bond. Bien conscients de notre immense privilège, surtout que ce n’est pas encore la saison touristique, nous dégustons langoureusement quelques ultimes journées de soleil, de kite dans le lagon et de vie douce.



La rencontre de la semaine : on a tiré sur les survivants.
Le bateau compte à son bord pas mal d’équipements de loisir : matériel de plongée, de pêche et, depuis peu, 3 ailes et 2 boards de kite. L’idéal pour naviguer en kite d’avoir une plage avec vent de face. En arrivant sur une des îles, on repère sur la carte une zone qui pourrait être parfaite, avec aussi un décollage parapente potentiel juste au-dessus. Elle est de l’autre côté par rapport à l’ancrage du bateau, nous prenons donc l’annexe pour aller au bord, et traversons l’île à pied pour confirmer notre intuition.
A notre retour d’exploration, au moment où notre petit sentier entre les hautes herbes débouche sur la plage, un agent de sécurité nous aborde en nous demandant ce qu’on fait là. Après 2-3 explications, il nous rétorque qu’on ne peut pas rester là, car « we are shooting survivor », ce qu’on peut traduire quand on ne regarde pas souvent la télé par « nous tirons sur les survivants ».
Bien que l’agent de sécu nous ait demandé de patienter quelques instants pour avoir une confirmation radio d’une info, Micha ne demande pas son reste et file dare-dare remettre l’annexe à l’eau. Je réalise rapidement que, puisque sa culture télé est forcément limitée par son activité principale, il n’a peut-être pas compris que la bonne traduction est « nous filmons Survivor », qui est la version américaine de Koh Lanta. Après quelques explications rassurantes sur l’absence de fusillade en cours dans les parages, il revient sur la rive soulagé, en pestant contre son inculture télévisuelle.
L’agent nous explique que le tournage a lieu ici depuis 5 ans et vient de s’achever pour la saison à venir, mais les candidats sont encore sur l’île et donc toutes photos, vidéos et accès à la zone de tournage sont interdits pour éviter d’éventer l’intrigue.
En revenant au bateau, on aperçoit effectivement plus loin dans le lagon une structure qui a dû servir aux épreuves, que les filles s’empressent de tester avant que la sécurité ne nous rabroue une nouvelle fois.

Le soir, le bar du coin nous confirme que le tournage vient de s’achever avec un symptôme significatif : à la suite des fêtes de fin de tournage, l’île est officiellement en pénurie de rhum.
On aime / on n’aime pas
On aime récupérer une image des prévisions météo de la tempête, histoire de garder un souvenir graphique de ces 48h agitées.

On aime le privilège du bateau : à Musket Cove comme dans d’autres lagons, nous partagions les paysages et les plages avec les clients des hôtels installés sur les îles. Mais, malgré le confort rustique du bateau et les petits 100m qui nous séparent de la rive, quel sentiment exaltant d’exclusivité on peut ressentir quand on quitte la terre et ses méandres de congés payés qui clapottent mollement dans leur piscine collective pour revenir à bord du bateau sur une annexe en plastique avec un moteur 5,5 ch, en espérant que Micha a pu réparer les toilettes !

On aime la gentillesse des fidjiens. Dans la mesure où le « dans tel pays, tu verras, les gens sont très gentils et accueillants » est un grand poncif des voyageurs de retour, et puisqu’on n’a pas tant d’expérience que ça, on se contentera de dire qu’en comparaison de la Polynésie et d’autres destinations qu’on a parcouru, la gentillesse et le désir d’accueil des locaux nous ont surpris pour des gens qui voient des touristes toute l’année. Avec en plus le bon goût d’une vie 2 fois moins cher que Tahiti.
On aime la vue depuis le sommet du mât. Ca se passe de commentaires.
On n’aime pas le manque d’entretien des déco parapente potentiels sur les îles désertes (on a des vrais problèmes). Des spots potentiellement magnifiques mais personne pour tondre ces fichues herbes hautes de 2m bloquant le décollage. Ces gens-là n’ont aucun sens des priorités.
On aime l’imagination de Micha pour transformer le bateau en tyrolienne.
On n’aime pas quand Micha se fait refourguer du mauvais matos de kite d’occasion : des ailes moisies dont 2 sur 3 ont cassé sans raison apparente, ne nous laissant qu’une 13m² pour naviguer (ce qui est très grand et donc trop puissant pour Hélène). Elle a bien essayé, mais un vol plané non maitrisé l’a dissuadé de continuer la tentative.

Ainsi s’achèvent les Fidji et notre première expérience de vie au long cours sur un bateau.
Malgré un début timoré, le pays est un de nos grands coup de cœur de cette année. A l’évidence, se balader en bateau aide un peu à profiter d’un archipel, mais nous y avons trouvé un équilibre rare entre toutes nos envies (soleil, plage, calme, kite, snorkeling, randos, bars, etc) et c’est avec une petite nostalgie qu’on a laissé derrière nous Pantagruel, Musket Cove et plus globalement l’ambiance si chaleureuse du pays.
C’est aussi la fin de notre première expérience de 30 jours de vie sur un bateau, avec ses charmes et ses contraintes. Le retour à une douche et un vrai lit vont faire du bien. Mais, syndrome de Stockholm oblige, on a eu un pincement au cœur en passant avec le ferry une dernière fois dans notre centenaire en bois.
Direction l’Indonésie, dernière étape du voyage avec le trajet le moins direct de l’histoire de l’aviation, mais c’est une autre histoire.
A très vite.
Well, ça manque un peu de parapente tout ça, mais votre écriture le fait aisément passer : j’adore ! Continuez (…mais quelque soit mes suggestions, je pense que vous allez le faire 🙂
Merci, denis
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