20 000 jeux sous les mers

De la pluie tous les jours et une bonne partie de la journée. Des embouteillages pas possibles au petit matin. Des prix déraisonnables même pour une pinte de bière.

Londres ? Paris ? Que nenni, la Polynésie.
Et ses eaux limpides pleines de barracuda. (C’est un alexandrin). Barracudaaaa.

Alors comme ça il faut un parapluie à Tahiti ?

Oui c’est la saison humide et comme d’habitude on le découvre en arrivant. C’est pas bien grave on n’est pas là pour être en extérieur. Il peut bien pleuvoir, à 20m sous l’eau on n’est pas mouillés.

Vous êtes perdus ? Rembobinons un peu.

Nous sommes en octobre dernier. Le voyage a commencé depuis quelques semaines et on sent déjà que l’improvisation qui nous sert de fil conducteur a ses limites. La thématique qu’on imaginait pour le voyage n’a pas résisté à la réalité du premier mois en Colombie, et on voit poindre le risque de se retrouver à faire pendant 8 mois du tourisme sans imagination et sans sortir de notre zone de confort.

Il serait bien mal venu de se plaindre, mais ce serait dommage d’avoir une année aussi exceptionnelle pour en revenir avec un goût de frustration. Heureusement, on a encore du temps pour rebondir et, à défaut d’avoir organisé le début, on peut au moins prendre en main la suite. On a donc écrit, en fonction des pays traversés, les idées d’expériences, de lieux ou de rencontres qui nous motivaient.

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Gros Brainstorming

Et on s’est lancés dans des recherches pour essayer de donner vie à ces idées. Alors bien sûr, tout n’aura pas lieu. Le bateau-stop à Ushuaïa pour aller en Antarctique est à peine moins probable qu’un succès du PSG en Ligue des Champions. Le plan Elevage de chevaux dans la pampa chilienne est tombé à l’eau suite à des travaux dans la ferme. Et personne ne voulait nous apprendre à tricoter un pull traditionnel Quechua. Mais on a déjà pu en faire quelques un et, à partir de la Polynésie, on s’est concocté un programme qui nous motive au plus haut point.

Le cœur de notre étape polynésienne : participer à une mission scientifique d’étude des dauphins établie sur un atoll. On avait moyennement compris ce qu’on allait y faire, mais la description cochait toutes les cases, alors on n’a pas réfléchi longtemps avant de s’inscrire.

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Après une semaine pluvieuse sur l’île de Tahiti, consacrée à passer notre niveau de base de plongée, on est donc parti pour l’atoll le plus grand de Polynésie (200 km de circonférence), à la rencontre de notre prof de dauphin, Pamela. Biologiste étudiant les cétacés de Polynésie depuis 10 ans, elle travaille une partie de l’année sur la population de dauphins de la zone.

 

Préambule :

A toi lecteur : on a souvent tendance à projeter à tort des comportements humains sur l’activité des animaux. C’est l’anthropomorphisme. Et dans le cas particulier des dauphins, les multiples séries / dessins animés / delphinariums n’ont pas aidé à garder une distance dans la perception de leurs comportements. Maintenant qu’on a passé notre premier flocon de biologie marine, on va essayer de transmettre à l’écrit la « prudence » qu’il faut avoir quand on les observe.

A toi Pamela ou autre passionné des cétacés : bon on va essayer d’expliquer correctement mais sans en faire 35 pages, donc si on fait un raccourci pourri, tu ne nous en voudras pas trop ?

 

[Mode C’est Pas Sorcier ON]

Un atoll, c’est une grande piscine de corail, avec des zones d’échange avec l’océan : les passes. Avec les marées, l’atoll se vide et se remplit, majoritairement par les passes, créant ainsi un courant assez fort dans des zones réduites.

2 entailles en haut, ce sont les 2 passes principales de l’atoll

A Rangiroa, la passe du Tiputa, au nord de l’atoll est particulière : le courant sortant produit un phénomène, le mascaret. Un mascaret est une série de vague remontant un cours d’eau. Mais à la différence des mascarets de fleuve, celui de Tiputa est présent 2 fois par jour, et peut générer des vagues de 2m de haut dans les meilleures conditions.

Dans le fond on voit bien les vagues dans la passe
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Oui, on était pas trop mal situés

Or, on connaît tous les images des dauphins sautant à l’avant des bateaux ou dans des vagues. Ces jeux dans les vagues sont importants pour leur vie sociale. On imagine donc que c’est la présence d’un mascaret quotidien qui a permis la sédentarisation d’un groupe à cet endroit précis. En cumulant les observations et les données depuis 10 ans, Pamela a identifié une soixantaine d’individus, et en particulier un groupe de 9 dauphins considérés comme « résidents » au vu de la fréquence d’observation.

Tiputa est connu depuis longtemps pour sa faune sauvage particulièrement riche et foisonnante. Régulièrement élu meilleur spot de plongée au monde pour sa concentration en requins et raies, l’activité est évidemment devenu un business énorme pour les locaux, qui ont vu fleurir en 30 ans 6 clubs de plongée à proximité.

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Photo prise à Tiputa, trouvée sur la page Facebook de Bixente Lizarazu.

Et au fil du temps et des plongées, l’activité a évolué : certains moniteurs, bénéficiant de la curiosité particulière du grand dauphin commun, le Tursiops Truncatus, ont commencé à les approcher puis à les caresser. Du coup, la proximité avec les dauphins sous l’eau est devenue un argument de vente supplémentaire. Aujourd’hui ce sont parfois 200 plongeurs par jour qui viennent tenter leur chance d’avoir la sensation de domestiquer un animal sauvage.

[Mode C’est Pas Sorcier OFF]

Pamela étudie plus particulièrement l’évolution et les conséquences de ces comportements humains dans le groupe de dauphins résidents de Tiputa. Et pour financer une partie de son travail, elle accueille des volontaires dont, pour son plus grand bonheur et pendant 15 jours, NOUS.

Avant de venir, on ignorait à la fois le détail de la mission, mais aussi que le site était mondialement réputé, avec des plongées qui peuvent être parfois un peu techniques. Alors, quand on a expliqué à nos moniteurs de Tahiti qu’on passait notre niveau de base (niveau 1) pour participer à une mission scientifique à Rangiroa, ils nous ont quelque peu ri au nez.

Notre seul espoir pour sortir du ridicule fut de nous plonger dans le mémoire de Pamela fraîchement reçu, pour enfin mieux comprendre la zone et ce qu’on allait y faire. Notre mission précise : l’aider à documenter un maximum la vie sociale du groupe et les interactions avec les plongeurs.

mémoire pamela
Elle a rendu son mémoire à temps, elle.

Après quelques cours de rattrapage sur le joyeux monde des cétacés, l’anatomie des dauphins et les portraits robots des résidents, il était temps de plonger dans le vif du sujet. Concrètement, et par ordre croissant de fun :

  • Trier les photos des dauphins jouant dans le mascaret : identifier, à partir des signes distinctifs de chaque individu et d’un trombinoscope des nageoires, lequel est sur la photo. Et c’est assez chaud !

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Les Experts : Tiputa
  • Plonger tous les jours et, si les dauphins veulent bien montrer le bout de leur rostre, filmer tout ce qu’on peut : quels individus sont présents, leurs jeux, les interactions avec les plongeurs.
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Bellissima ! Ma yé veux qué tu sois plous expressive. Fais l’amore à la caméra !
  • Et, si on a de la chance, récolter leurs excréments pour faire des analyses ADN et hormonales sur les individus du groupe. Avec une belle seringue et l’espoir qu’ils se relâchent quand on est pas loin, se jeter pour essayer de récupérer les grumeaux au plus vite avant que les poissons ne se jettent dessus. Quand la biologie non intrusive n’exclut pas les plaisirs scatologiques.

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Quand t’as choppé une belle merde !

Ce n’est qu’à notre 2e plongée qu’on a eu la chance de les voir pour la première fois. Pas longtemps, mais suffisamment pour être impressionnés. Car même si on connaît la silhouette et la façon de se mouvoir de l’animal, quand un bestiau (2 à 4 m) passe à proximité toute en puissance et en souplesse, l’humilité aquatique nous gagne. Ce sont eux qui ont la maitrise, au centimètre près, de la proximité et du temps qu’ils nous accordent, surtout avec l’attirail de plongée qui nous rend aussi agiles qu’un 38T en centre-ville.

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Mais il ne faut pas se relâcher, on n’est pas là pour lambiner les yeux émerveillés, il faut filmer attentivement, et attention au cadrage : pas question que l’image soit de travers sous prétexte qu’on palme de toutes nos forces dans l’espoir ridicule de rattraper un timide parti un peu vite.

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Quand Pamela va te passer un savon pour ton cadrage moisi

Au fil des plongées et du travail, un plaisir nouveau apparaît : passer de spectateurs d’animaux certes sympathiques mais néanmoins inconnus, à observateurs un peu avisés d’un groupe dont on distingue sous l’eau individu par individu les marques corporelles et comportements spécifiques.

On pense à Zip, la femelle de 5 ans, facilement reconnaissable à ses auréoles sous les nageoires pectorales, qui est fascinée par le globe de l’appareil photo de Pamela, et qui peut passer parfois 30 minutes à s’observer son reflet sous tous les angles.

Ici une vidéo via Facebook. Si vous ne la voyez pas, autorisez les liens.

Ou cette fois où les 2 jeunes mâles jouent devant nos yeux pendant 2 minutes à se battre comme des adultes, avant que la mère d’un des deux viennent siffler la fin de la récré et leur foncer dessus pour les séparer.

Ou cette image impossible à oublier de la troupe passant sans s’arrêter, peut-être en cycle de sommeil, dans un ballet au ralenti hypnotisant.

La mission est venue titiller un instinct : l’envie difficile à réfréner de toucher un tel animal quand il est à proximité et que certains ont même développé une accoutumance à cela. C’est particulièrement tentant et pourtant il faut résister. On ne fera pas d’hypothèses sur ce qui rend cette envie si forte, mais le cœur de la mission étant l’étude de ces animaux à l’état sauvage, on a tenu bon et on a gardé nos mains sur nos caméras / seringues ! Et la prochaine fois qu’on aura cette envie à proximité d’animaux sauvages, j’espère que notre conscience éveillée par les leçons de biologie de Pamela sera encore suffisamment forte pour résister.

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Après 2 semaines intenses et joyeuses s’achève notre contribution la plus concrète à la science depuis la fois où j’ai prouvé qu’un excès de bière en happy-hour pouvait conduire à s’endormir en confondant une pizza chaude tout juste déposée par le serveur avec un oreiller – quel dommage de ne pas avoir reçu de bourse de thèse sur le sujet, je suis sûr qu’avec la belle équipe de scientifiques de l’époque (Grison et Malzac ce soir-là), on aurait pu faire avancer le savoir.

Avec le plaisir de vivre le quotidien d’une recherche scientifique, on avait aussi envie de connaître à quoi ressemble la vie sur un atoll un peu isolé, ravitaillé 2 fois par semaine par bateau. Et on peut le dire sans briser le mythe : c’est indécent de douceur. Bien sûr, les relations insulaires en circuit fermé ont toujours quelques limites ; bien sûr le tourisme dénature beaucoup de choses ; bien sûr l’obésité fait des ravages (70% de la population adulte est en surpoids dont 40% au stade d’obésité).

Mais quand même, ce quotidien tellement facile, toute l’année en short, T-shirt et tongs, où il suffit de se baisser pour ramasser des poissons, protégé de toutes les préoccupations du monde, rend toujours aussi vivant le mythe des Gauguin, Moitessier, Brel et autres Brando, qui ont tout lâché pour se blottir dans cet édredon éternellement chaud où le temps s’écoule autrement.

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La rencontre de la semaine : Objectif Science

Comment on a trouvé Pamela ? En tapant « vacances scientifiques » dans notre moteur de recherche. Et on est tombés immédiatement sur Objectif Science International, une ONG qui propose exactement ce qu’on recherchait : des séjours de recherches participatives et solidaires.

Le principe est assez simple : des séjours comme le nôtre, où l’on devient pour quelques jours ou semaines un volontaire dans une mission scientifique. Il y en a partout dans le monde, de l’Arctique à l’Antarctique, pour tous les âges et tous les niveaux et sur une variété impressionnante de thématiques.

OSI

Les séjours sont payants mais défiscalisables comme un don à une association, et l’organisation permet ainsi à un paquet de missions de trouver un peu de main d’oeuvre et des financements complémentaires en contrepartie de l’accueil des volontaires.

Alors si notre petite équipée vous a inspiré, vous savez où chercher.

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Sur cette photo de l’équipe de volontaires, quelqu’un a choppé un petit virus. Sauras-tu la retrouver ?

 

On aime / On n’aime pas

On aime les signes du destin. Ces trois semaines étaient particulièrement placées sous le signe de la vie marine. A Tahiti, notre moniteur pour le niveau 1 (Plongée encadré jusqu’à 20m de profondeur) était un ami proche d’Alain Bernard, le premier champion olympique de natation français. Qui s’est aussi illustré pour sa tentative de tatouage le plus raté au monde.

Non, ce n’est pas un décalcomanie Mickey Parade

On n’aime pas le revers de la médaille de la plongée : en respirant sous l’eau, on accumule de l’azote dans l’organisme. Il s’évacue lentement une fois sorti, et l’altitude ou l’effort physique sont à éviter absolument (risque d’accident de décompression) dans les 12h qui suivent. Concrètement, toute la première semaine à Tahiti, ça veut dire qu’en plongeant le plus souvent à 10h du matin, nous étions privés de nos activités favorites (kite, parapente, rando) pour le reste de la journée, ce qui n’est pas la moindre des frustrations dans un tel endroit. On a bien essayé un jour de monter à un point de vue à 600m d’altitude en voiture, mais même ça, nos organismes se sont vite chargés de nous rappeler que c’était pas une bonne idée.

On aime se mettre à l’eau dans le bleu, c’est-à-dire en pleine mer. A l’extérieur de l’atoll, la pente récifale est à 60°. À 300m de la vague, on a déjà presque 200 m d’inconnu sous les palmes. La première fois, c’est assez impressionnant. Et ça devient vite un grand plaisir d’être en apesanteur dans un décor uniformément bleu.

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I’m blue, dabedi dabeda.

On n’aime pas trop poireauter sous l’eau en attendant que nos petits potes à sonar veuillent bien nous accorder de l’attention. Et comme le club de plongée est très cool et, qu’au lieu de faire les 45 minutes réglementaires comme partout, on remontait uniquement quand l’un d’entre nous avait consommé sa bouteille, c’est-à-dire 85 minutes pour la plongée plus longue. Le côté positif, c’est qu’on a parfois vu des choses exceptionnelles en toute fin de plongée. Le côté négatif, c’est qu’on finit par bien s’ennuyer sous l’eau quand il n’y a rien qui vient nous voir. Alors on a trouvé des occupations : Pierre-Feuille-Ciseau (victoire Brieuc sur un superbe pierre qui a complètement déstructuré la tactique à base de ciseaux d’Hélène) et figures diverses (victoire Hélène).

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Le tiercé dans le désordre
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Délit de racolage passif.

 

On n’aime pas les pièges du décalage horaire de l’autre côté de Greenwich. Juste avant d’arriver en Polynésie, j’ai été pris d’un coup de flip à l’île de Pâques en me disant qu’on n’avait pas pris en compte le changement de jour entre 2 fuseaux horaires, et que ça allait bousiller toutes les réservations déjà faites. Heureusement, la ligne de démarcation où l’on passe de 12h de retard sur la France à 12h d’avance est située entre la Polynésie et la Nouvelle-Zélande. Ce que n’avait pas noté la suissesse qui a débarqué de NZ dans notre AirBnb de Tahiti avec 24h d’avance…

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Les suisses et la ponctualité, c’est plus ça.

 

On aurait beaucoup aimé avoir la chance d’observer en premier un nouveau-né. 2 des femelles du groupe (de dauphin) étaient gestantes et à terme au moment où on y était. Alors on a espéré très fort avoir la primeur de contempler un petit ou même les 2, et de profiter du privilège qui y est associé : leur laisser le nom de notre choix. Pas de bol, il va falloir garder les idées débiles sur le duo à baptiser issues d’une semaine d’apéro entre volontaires pour une prochaine. La science perd une nouvelle fois une belle opportunité.

 

Et voilà, 3 semaines de folie passées beaucoup trop vite et en joyeuse compagnie. Un très grand merci à Pamela, Alain et Kim pour leur accueil et leur partage. On aurait bien prolongé le plaisir mais nous n’avons pas le temps de lambiner, la suite du programme nous attend.

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PS1 : Les bonnes photos sont presque toutes l’œuvre de Pamela. Même si elle triche avec son appareil photo de compétition, qu’elle en soit grandement remerciée, ainsi que pour son attention à nos fantaisies sous-marines. Le reste est au crédit de la GoPro de TailloProd.

PS2 : Il y aura une vidéo qui devrait valoir le détour. On la postera sur la Page Facebook. Abonnez-vous si vous voulez la voir, et soyez patients, car ça prend une palanquée de temps à dérusher ces 50 Go de vidéo !

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