A partir de la Patagonie, nous commençons notre remontée du Chili, dernière ligne droite avant de quitter le continent. Ligne droite au propre et au figuré, tant la forme du pays n’autorise pas vraiment de créativité sur le dessin du trajet.
Mais ce long cigare de 4500 km offre pour autant une variété stupéfiante de paysages. Après la Patagonie et la Terre de feu déjà évoquées, s’ensuit vers le nord une longue bande de fjords qui n’ont rien à envier à la Norvège ou à l’Islande, puis une région qui ressemble à s’y méprendre à la Suisse, à ceci près qu’entre 2 vaches dans les prés sur fond de montagne, on trouve encore régulièrement un volcan fumant.
Guenaelle, la cousine d’Hélène, qui a pris 5 mois de congés pour faire jusqu’à mai le trajet inverse au nôtre jusqu’à la Colombie, nous a rejoint à Puerto Varas pour entamer en joyeuse bande le trajet.
Les 4 dernières semaines, parcourues soit en voiture, soit en bus dans des zones très touristiques, nous ont un peu laissé sur notre faim en termes d’imprévus et de rencontre de locaux. C’est donc en stop qu’on choisit de repartir, pour le plaisir de l’inconnu et de l’improvisation. Et on ne va pas être déçus.

J’ai (Brieuc) appris le stop – car oui, c’est une discipline comme une autre – en Nouvelle-Zélande. La première fois que j’en ai fait, je me suis posté gentiment sur le bord de la route, le pouce levé et avec ma destination écrite tant bien que mal sur une feuille A4. Rien d’extraordinaire, j’avais l’impression de faire bien comme il faut, comme tous les gars qu’on voit sur le bord des routes.
Après 45 min d’attente sans qu’aucune voiture ne s’arrête malgré un flux généreux, je suis abordé par un gars qui marche sur le trottoir, revenant visiblement de la laverie.
- Ca fait combien de temps que tu attends ?
- Bah pas loin de 45 min.
- Ca ne m’étonnes pas, t’es nul ! C’est pas comme ça qu’on fait du stop, je vais te montrer.
D’abord, ton papier illisible, on s’en fout. Il n’y a qu’une route et tout le monde va dans la même ville que toi, donc ça sert à rien de dire où tu vas. Ensuite, est-ce que tu penses que tu vas donner envie aux gens de s’arrêter en levant mollement ton pouce comme ça ? Si tu veux qu’ils s’arrêtent, il faut leur donner envie de passer 1h avec toi. C’est un pied sur la route, l’autre sur le trottoir, le bras levé vers le ciel et le pouce bien haut, avec un immense sourire comme si chaque voiture était la seule de la journée. Moi ça fait 6 mois que je voyage en Nouvelle-Zélande, j’ai jamais attendu plus de 10 minutes.
Et mon bienfaiteur repartît comme il était venu, son slip dans le sac et sa bonne action du jour accomplie. J’appliquai aussitôt sa recette, et une minute après j’embarquai dans une voiture. Depuis, sa règle des 10 minutes – que j’ai élargi à 10 voitures quand on est dans des zones peu fréquentées – n’a presque jamais été prise en défaut.
Mais même cette méthode peut être améliorée, pour descendre les statistiques à 1 min maximum. Il faut juste trouver 2 femmes et 2 mini-shorts. Démonstration :

Les esprits chagrins diront que 2 femmes, c’est pas facile à transporter. Mais c’est à coup sûr redoutablement efficace. Mise à jour Marmiton : 2 sourires en mini-short sur le bord de la route, leur mentor discrètement caché derrière un buisson, et dès qu’une voiture s’arrête, jaillir en demandant « au fait on est 3, est-ce qu’il y a la place ? ».
En 3 jours de stop, on a eu l’occasion de faire cocher toutes les cases de véhicules pas encore faits : le coucher de soleil à l’arrière du Pick-up, le 38 tonnes avec les 2 filles dans la banquette du chauffeur , et une surprise de taille (cf la rencontre de la semaine).

Presque 2 semaines de vadrouille pour parcourir la région des lacs, dont Pucon, un des spots de vacances le plus « hype » du pays. Le mix sport-chic mais cool, petit paradis pour toutes les activités de plage, de fête et de montagne.
La rencontre de la semaine : Dis-leur de s’arrêter.
Notre 3e voiture de la journée devait nous faire un trajet très rapide: « vous n’êtes pas au bon endroit pour faire du stop, je vous emmène juste après le péage, c’est pas loin et vous serez beaucoup mieux », nous explique notre bienfaiteur du moment.
Quelques instants plus tard, il s’engage sur l’autoroute, en mettant un clip de Kiss sur son téléphone et le son du téléphone littéralement à fond dans les enceintes de la voiture. La musique est bonne, et on avance à grande vitesse vers notre ville objectif du jour, autant de bonnes raisons pour bouger la tête en rythme sans lancer l’habituelle discussion avec le chauffeur qui a bien voulu nous emmener.
Arrivés au péage, celui-ci constate avec dépit qu’il n’y a pas de voie pour faire demi-tour comme il le voulait.
- C’est pas grave, j’ai du temps, je vous emmène jusqu’à la prochaine sortie, dit-il en baissant la musique.
- Merci beaucoup, c’est vraiment gentil. Est-ce qu’on peut payer le péage pour vous remercier ?
- Non, merci, je ne manque pas vraiment d’argent répond-il en exhibant sa pochette dans laquelle on distingue au bas mot 700 billets de banque. Tiens c’est curieux me dis-je (Brieuc) depuis le siège passager, tandis que les filles terminent de chantonner à l’arrière.
La route reprend, mais pas la musique. C’est le moment des présentations. Une fois expliqué le principe du congé sabbatique à la française – systématiquement la meilleure publicité pour le droit du travail tricolore à l’étranger – nous retournons la question :
- Et vous, vous êtes dans le coin pour le travail ou pour les vacances ? (NDLR : nous sommes dans une zone touristique où viennent beaucoup de Chiliens pendant les vacances d’été)
- C’est-à-dire que, … pas vraiment. Enfin oui et non.
- Pourquoi ? Qu’est-ce que vous faites comme travail ?
- Et bien… je suis trafiquant de drogue. Je fais un peu de tout : cocaïne, héroïne, marijuana. Donc je suis descendu depuis Santiago pour le travail.
Silence dans la voiture. C’est une blague ? A priori non. C’est dangereux ? Il nous l’a dit comme on aurait dit « je suis prof de math », alors on reprend la conversation comme si c’était un métier normal – avec quand même un petit brin d’excitation dans le flot habituel des questions. Il raconte calmement sa vie, mais avec beaucoup trop de mots d’argot chilien pour qu’on comprenne tout du premier coup.
Viré de chez lui à 12 ans, il a survécu dans la rue en faisant des petits boulots, mais surtout en faisant à 14 ans le porte-flingue pour le caïd du coin. Il a eu un fils à 17 ans qu’il ne connaît pas bien car, à 43 ans, il a déjà purgé deux peines de 3 ans et 20 ans derrière les barreaux. Et là, c’est l’imagination qui se met en route : 20 ans de prison, c’est une peine pour quoi ? Sans bien connaître le code pénal chilien, on pense bien vite au meurtre, assez cohérent avec le récit de porte-flingue. Ambiance.
Son récit continue. Il est à l’évidence content de raconter sa vie à des gens qui ne présentent aucune menace pour lui, ce qui ne doit pas souvent lui arriver.
- Et si tu te fais chopper, t’as pas peur de retourner en prison et de tout perdre ?
- Bah si ça m’arrive, ce sera entre 5 et 10 ans de cabane. Mais j’ai acheté plein de maisons et de petits commerces qui sont à d’autres noms, donc là je continue jusqu’à me faire prendre, et en sortant de prison j’aurai de quoi tenir pour le reste de ma vie.
- Et en prison, c’était comment ? Il faut une protection, un clan pour tenir ?
Une fois de plus, il répond avec une expression qu’on ne comprend pas. On le fait répéter 3 fois, sans succès, alors pour se faire comprendre, il passe au mime avec accessoire. Il sort son couteau, l’enlève de l’étui et commence à faire des moulinets avec beaucoup trop de dextérité pour ne pas nous mettre mal à l’aise.
- Je faisais des combats au couteau. 55 duels, je n’ai jamais perdu. J’en ai envoyé 40 à l’hôpital. Tout est dans le mental.
Au même moment, nous passons la sortie d’autoroute que nous devions prendre, sans qu’il s’arrête. Je lui fais remarquer.
- Mais pourquoi vous voulez vous arrêter, vous n’aimez pas discuter avec moi ? Je vous déposerai à une autre sortie plus loin, c’est pas grave.
Là, ça devient un peu flippant. Sur le moment, je me mets même à étudier les différentes manières de l’obliger à s’arrêter rapidement. Mais la route continue, toujours bien au-delà des limites de vitesse, et avec des à-coups dès qu’une voiture freine au loin.
- C’est parce que je ne vois pas vraiment pas bien d’un œil. Alors du coup je ne peux pas bien estimer les distances, explique-t-il en réaccélérant à 160 km/h.
Effectivement nous prenons la sortie d’après. Le téléphone sonne, il nous fait signe de ne pas faire de bruit. Une femme parle, elle a l’air complètement terrorisée. Nous ne comprenons pas toute la conversation, mais apparemment elle doit de l’argent à quelqu’un, et vite. Elle est à Puerto Montt, à plus de 120 km de nous. Il raccroche en disant « calme-toi, j’arrive, je suis là dans 20 minutes ».
1 minute plus tard, il prend le soin de nous déposer à l’endroit de notre choix à l’entrée d’un village, et nous explique qu’on l’a vu conduire doucement par rapport à ce qu’il s’apprête à faire. On le remercie, descend et récupère les sacs dans le coffre.
A peine le temps de se remettre de nos émotions, une voiture arrive et par réflexe, on lève le pouce. Elle s’arrête et nous prend, c’est reparti pour un tour. Manque de bol, ce n’est pas un dealer borgne professionnel du couteau multirécidiviste amateur de rock des années 80 en quête de biographes, c’est juste un couple de vieux fermiers. On ne peut pas avoir de la chance à tous les coups.

On aime / On n’aime pas :
On aime jouer les entremetteurs en voyage. Un pack de bières fraîches, ça permet en deux minutes de réunir à l’apéro tout ceux qui traînent à l’hostel à ce moment-là. Parfois c’est nous qui en tirons parti (une invitation / un bon plan pour la suite), parfois la générosité est double. Ce soir-là, sans doute que Güstaf, un suédois fils d’éléveur de cochons qui ne veut pas reprendre la ferme familiale et qui s’est barré voyager à la place, n’avait pas prévu de discuter avec Maria, l’étudiante argentine timide qui dinait en silence à côté de nous. Mais aucun des deux n’a refusé une de nos bières et quelle ne fût pas notre surprise au petit matin, oh miracle de l’alcool, de les voir collés l’un à l’autre sur le canapé, préparant 3 jours de voyage ensemble sur l’île romantique de Chilowé.

On n’aime pas perdre nos affaires en route, et malgré le soin qu’on apporte en quittant auberges de jeunesse, bus ou aire de camping, la liste des victimes du voyage s’agrandit petit à petit. Notre 2e et dernier couteau suisse a récemment fait les frais d’un départ en randonnée un peu rapide au petit matin.
On a aimé, et c’est peu de le dire, l’ascension du volcan de Villarica. L’ascension ne présentait aucune difficulté difficulté technique, mais l’obligation de le faire encadrés et des prix exorbitants pour de la randonnée en crampons nous avaient découragés. Heureusement, on a réussi à négocier avec les autorités locales pour avoir le droit d’y aller seuls et avoir également le droit de descendre en parapente depuis le sommet (si la météo s’y prête).


Une fois admiré le volcan le plus actif du Chili, qui vapote encore des fumées toxiques au quotidien (les masques ne sont pas pour la photo, en moins de 10 secondes sans les porter, on a les yeux et la gorge qui piquent), il n’y avait plus qu’à descendre… en luge. Trop de vent pour décoller du sommet, mais à la place une poilade exceptionnelle conclue sur le front de neige par une finition aérienne, avec vue sur tout le coin. 1500m de dénivelé abattus en 30 min au son du gloussement de nos rires. On serait prêts à y retourner juste pour refaire la descente.
On aime apprendre par hasard qu’un des plus grands festivals de parapente du Chili se déroule justement le WE où on est dans le coin, et au lac d’à-côté. L’occasion pour Guenaelle de se faire draguer par son moniteur de biplace, et pour Hélène de mettre la misère en l’air à tous les pilotes du canton qui, malgré leurs voiles de compétition et leur connaissance des tout petits thermiques de la région, se sont tous posés 20 minutes avant elle. Quand elle atterrit, je me jette sur elle pour la féliciter. « Mais moi je voulais descendre, j’y arrivais pas !!! »


On n’aime pas quand les parcs naturels ferment pour risque incendie et que ce n’est pas indiqué avant qu’on parte. On est un peu passés entre les mailles du filet, mais notre joli périple de camping dans la montagne a eu plus chaud aux fesses que la montagne elle-même.

On aime Valparaiso, c’est même notre coup de cœur du Chili en termes d’ambiance de ville. Le port, point de ravitaillement incontournables pour les navires avant l’ouverture du canal de Panama, a depuis perdu de sa superbe. Mais la ville est restée populaire et dynamique, très ouverte sur le monde et toujours aussi colorée : au départ, les pêcheurs locaux peignaient leur maison de la couleur de leur bateau pour qu’on s’y retrouve facilement. La flotte de pêche est partie, mais la tradition vit toujours et donne à la ville des allures de patchwork réjouissant.
Il faut dire aussi qu’à Valparaiso, nous avons rejoint 1 amie française d’Hélène + 2 potes de la session « Pains aux chocolat du Pérou » – l’épisode est ici si vous ne voyez pas de quoi on parle. « Quand on est plus de quatre on est une bande de cons. A fortiori, moins de deux, c’est l’idéal » disait Desproges, mais quel plaisir d’arpenter la rue en bande ou de retrouver le plaisir des apéros trop arrosés par la faute d’un collectif encourageant.
Voilà c’en est (presque) fini pour le Chili et l’Amérique du Sud. Prochaine étape : l’Île de Pâques, dernier bout de terre chilienne perdue au milieu du Pacifique.
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Merci pour vos récits et les superbes photos. J’adore !! Vivement la suite …
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WOW!!!!
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