Road-trip. Le mot est magique et chargé instantanément d’images : Telma et Louise en décapotable à travers l’ouest sauvage américain, les vagabondages de Jack Kerouac. On pense liberté, improvisation, découverte. Le monde va venir à nous, il suffit de se laisser bercer par les km et d’ouvrir les yeux. On est passif et actif en même temps. Alors quand on a proposé l’option comme programme de fêtes de fin d’année aux parents de Brieuc, ils n’ont pas mis longtemps à approuver. 2500 km au programme, pour tracer une grande virgule dans le Nord de l’Argentine.

Sauf que les loueurs de voitures apprécient généralement peu qu’on rende une voiture à l’autre bout du pays et le font payer cher. Donc si on ne voulait pas vendre un rein au marché noir, il fallait chercher chez les low-costs. Côté bagnoles, l’Amérique du Sud est remplie de modèle exotiques, spécifiques au marché local. Chez Volkswagen, ils en ont un entre la Polo et la Golf, avec toutes les caractéristiques du low-cost : moche, petit moteur, pas cher, et sans vitres électriques. Cette petite merveille d’élégance et de raffinement, que dis-je, ce bolide capable de dépasser en descente n’importe quel tracteur, c’est la Volkswagen Voyage.
Regardez-moi cette beauté ! Non mais quand même, ça c’est du coup de crayon ! On ne peut pas dire qu’on se moque du marché Latino chez VW. Ces petites roues toutes fines, si délicates qu’on voudrait y mettre des bas-résille ; ce coffre svelte, proéminence toute en générosité pour offrir le luxe d’une garde-robe de choix malgré les contraintes de l’itinérance. Tout respire le raffinement, et nous sommes un peu gênés par la perspective de faire tourner des têtes pendant le trajet par la faute d’un carrosse trop luxueux.

On était donc fin équipés pour se mettre en route, direction le sud de Salta, et la célèbre route 40, qui traverse le pays du Nord au Sud sur 4500km, pour descendre une splendide vallée encaissée entre les Andes et leurs contreforts. Itinéraire classique et un tout petit peu fréquenté au début, avant de traverser 500km d’un océan de pampa désert. Des lignes droites de 50km au milieu de nulle part, parsemées de cactus ou parfois égayées par des vaches qui traversent quand on arrive. Faute de train, on regarde les voitures doivent-elles se dire.

Un parcours fort agréable, avec le plaisir de découvrir à chaque village comment ils ont fait leur sapin. Car ce n’est pas parce que Noël est en plein été qu’ils ne tentent pas d’avoir les décorations idoines. Chaque municipalité propose sa version, avec plus ou moins de succès, on vous laisse juge :
Les formations rocheuses de toutes les couleurs sont un émerveillement sans cesse renouvelé. Ceux qui ont déjà vu des grands parcs américains ne seront pas déboussolés, mais pour nous c’est un spectacle fascinant de découvrir des couches complètes du manteau terrestre remontées à la surface au gré de la tectonique des plaques et des poussées volcaniques. Dans le parc national d’Ischigualasco, lieu de prédilection des paléontologues du monde entier, on peut même y découvrir les plus vieux fossiles de dinosaures de la planète, de la période antérieure au Jurassique, c’est-à-dire plus de 230 millions d’années. (Ross Geller, sort de ce corps).



Après les dinosaures, nous abandonnons la route 40 pour mettre le clignotant à gauche en direction de l’Atlantique. Et tout de suite, la chaleur, qui était déjà gratinée proche des montagnes, monte encore d’un cran. On touchera même les 50° au compteur de la voiture, sur le bord d’un désert de sel. Heureusement, la climatisation de la voiture tiendra bon jusqu’à Buenos Aires. Deutsch Qualität.
Les derniers 700km Cordoba-Rosario-Buenos Aires seront relativement monotones, car c’est une longue traversée de l’immense plaine agricole toute plate et verte qui s’étend sur une superficie plus grande que la France. La seule activité du coin, à part le Salon International du Tracteur, c’est de se prosterner à chaque match devant Lionel Messi, génie semi-muet de Rosario qui revient dans le coin dès qu’il peut pour faire des barbecues avec ses potes. C’est pas bien compliqué, on trouve même son portrait à l’entrée des restaurants chics.
Nous arrivons à Buenos Aires le 30 décembre, en imaginant que les festivités du nouvel an soient à la hauteur de la réputation des Sud-Américains. Que nenni, le nouvel an n’est ici pas fêté ou presque. Le 31 au soir, chacun dine en famille avant, éventuellement, de sortir faire sauter quelques pétards. Mais rien d’organisé, pas de feu d’artifice de la ville ou de rassemblement sur la place centrale. A 1h du matin, mis à par des familles assises ça et là sur des bancs pour profiter / picoler un peu pendant que les enfants jouent, on croirait presque une nuit normale.

La rencontre de la semaine : le tango
Venir à Buenos Aires sans se frotter au Tango, ça aurait été un particulièrement dommage pour un couple s’étant rencontré sur une piste de danse. Donc avant de laisser les ainés rentrer en hiver, on tenait à trouver le moyen de danser (et d’apprendre par la même occasion) la spécialité locale, comme d’habitude en s’y prenant à la dernière minute. 2 options principales : les restos avec combo diner-spectacle (ça se réserve, mais ça ne se danse pas, option écartée), ou bien les Milongas, ces salles de bals populaires un peu à l’ancienne. Il parait qu’on y danse tous les jours et ça tombe bien, on est mardi 1er janvier, on a intérêt à ce qu’ils ne fassent pas d’exceptions.
On arrive à 23h au salon Ganning, quasi vide. Deux couples sont enlacés sur la jolie piste de danse en parquet, et seules quelques personnes sont assises sur les 3 rangées de tables autour de la piste. A peine le temps d’imaginer que la soirée est foutue, on s’aperçoit que quasiment toutes les tables sont réservées ! La soirée, ou plutôt à cette heure-là doit-on dire la nuit ne fait que commencer. Il est vrai que dans une ville où les restos ne servent rien avant 21h, il ne faut pas s’attendre à voir les gens sortir avant minuit. Nous prenons place autour de la piste avec une légère excitation.
Les gens arrivent au fur et à mesure, tranquillement, se saluent ; ils sont en couple, entre amis ou même seuls parfois. Les femmes, en robes moulantes mi-longues pour la plupart, changent discrètement de chaussures une fois installées pour mettre les talons hauts de rigueur. L’atmosphère est élégante mais pas guindée.
Et sur la piste, on est loin de l’image que je (Hélène) me faisais d’une danse spectaculaire, modèle de sensualité gominée et/ou à paillettes pas très loin du patinage artistique, avec la femme très maquillée, robe rouge fendue en haut de la cuisse et son homme ténébreux la faisant se cambrer. Le tango qui se danse dans cette salle c’est un tango classique, dit tango milongero. Ce qui prime chez ces danseurs, ce n’est pas la technique, c’est le ressenti et la sensualité.
Ils sont front contre front, leurs épaulent bougent peu et tournent doucement. La femme a souvent les yeux fermés pour se laisser guider par la musique et l’impulsion de son cavalier. Elle garde une liberté d’accompagner la danse d’un jeu de jambes, parfois vif, parfois langoureux. Il y a certainement quelques pas de base qu’il faut apprendre, mais on a surtout l’impression qu’ils improvisent à deux. Notre regard évolue et s’aiguise. On perçoit vite la délicatesse et l’harmonie subtile entre les danseurs. Il en faut du talent pour faire croire à l’improvisation permanente, et plus les minutes passent, plus on se met à admirer les passes chaloupées sur la piste.
Deux trentenaires venues en célibataires et bonnes danseuses ne quittent pas le parquet, faisant le bonheur sans chichi de leurs cavaliers bien plus âgés. Un jeune sur son 31, fait danser tout en douceur sa grand-mère, vieille dame très élégante, heureuse de retrouver peut-être le salon de danse de sa jeunesse. Des groupes d’amis s’invitent entre eux, des couples qui nous paraissent semi-professionnels lancent des passes compliquées et d’autres qui viennent peut-être là, plus discrètement, en première Date, et qui en profitent pour discuter puis se tenir enlacés le temps de quelques danses.
La piste se remplit enfin, offrant à la fois un spectacle plus varié et le paravent idéal pour tenter notre chance. On a dit chaussures à talon et front contre front. Avec les moyens du bord, ce sera baskets sur la pointe des pieds et front contre torse. Les locaux ont la gentillesse de ne pas tiquer à l’incongruité de notre présence, et nous guident même lorsqu’on part à contresens de la valse générale.
On prend le rythme de la piste. On s’abandonne à la musique, au ressenti de l’autre pour choisir une direction dans laquelle avancer, reculer, tourner. On balbutie un peu mais on danse, on se laisse envoûter par l’autre, c’est très sensuel – trop d’ailleurs pour l’Eglise qui s’est battue par le passé pour interdire cette « danse du diable » si populaire dans les faubourgs de migrants européens.
A 2h30 (!), au comble de l’ambiance, un orchestre live avec son chanteur au sourire charmeur se met à jouer pour enfin lancer la soirée.

Il est bientôt temps de nous retirer sous les acclamations de la foule, sans doute heureuse que leurs pieds ne fassent plus partie du périmètre hasardeux de nos improvisations.
On n’aime / on n’aime pas
On aime le service client Décathlon. Après moins d’un mois de voyage, au début du Pérou, on s’aperçoit qu’une couture vitale du sac d’Hélène est en train de lâcher, sans qu’on ait spécialement forcé dessus. Pour un sac spécial « voyage autour du monde », ça la fout mal, et c’est surtout problématique avec 8 mois encore à tenir. Un petit message avec une photo via Twitter à Quechua, et dans la journée c’était réglé : « Donnez-nous une adresse n’importe où sur votre trajet, on vous en envoie un neuf ».
Pas besoin de preuves multiples, de « c’est de votre faute, vous êtes les seuls à qui c’est arrivé », de « désolé vous êtes trop loin », « ramenez-nous l’autre d’abord », juste une réponse simple et en confiance, en 24h. C’est fort et très appréciable dans notre situation.
On aime Noël avant l’heure. Les parents nous ont ramené de France, outre le sac à dos susmentionné, un saucisson, un bon camembert coulant, et pleins de petits objets oubliés au départ de France, perdus en route ou bien qu’on avait choisi à tort de ne pas prendre. Oui, on peut être très heureux de voir une brosse à dent électrique surgir d’un sac à l’autre bout du monde.
On aime pimenter un peu la monotonie des lignes droites avec notre jeu du barbu (ou de la voiture jaune, chacun sa chapelle) local : le Gauchito. Ces petits autels rouges vifs, culte d’un Paco Rabanne à cheval local dont une prédiction de guérison s’était réalisée après sa mort, sont installés de partout au gré des routes, le plus souvent sous un arbre et très régulièrement fleuris. On peut également trouver juste à côté des amas de bouteilles plastiques vides reliées entre-elle, pour un autre culte local dont on n’a pas trouvé l’explication.
Dans tous les cas, le premier qui voit un Gauchito au loin, c’est 1 pt pour ceux de devant, et 2pt pour ceux de la banquette arrière. La décence et le respect envers mes géniteurs venus à l’autre bout du monde pour subir une défaite humiliante sans autre excuse qu’un affaiblissement soudain de la cornée m’oblige à ne pas donner les scores finaux.

On n’aime pas le Torontès. Depuis quelques décennies, le Chili et l’Argentine ont réussi à s’inscrire sur la carte mondiale des vins, avec une réputation flatteuse pour certains terroirs Argentins. C’est donc avec les papilles frétillantes que nous arrivâmes à Cafayate, au cœur de la vallée de la Rioja, une des grandes zones viticoles du pays qui se targue d’avoir les vignes les plus hautes au monde à 2600m d’altitude. Une visite de cave à vin plus tard, on était fins prêts pour notre première dégustation. Et là c’est le drame.
Le Torrontès, vin blanc spécialité locale et fierté locale car venant d’un cépage « qui a disparu d’Europe mais que nous avons réussi à faire renaître ici », est une recette qui obéit à un processus délicat et un mélange subtil. Au nez, je dirais 65cl extrait d’un cubi de Villageoise, auquel vous ajoutez 5cl de sucre de canne Marque Repère, et vous complétez avec 5cl de Banga frelaté. Au début, on s’est dit qu’on était tombés sur une mauvaise bouteille, mais notre guide nous explique que les gens d’ici aiment le vin sucré, et qu’ils tentent depuis 5 ans de faire des vins un peu plus secs, mais « que c’est pas facile ». 2e bodega (vigneron), même constat. 3e bodega, toujours pareil. Pour le diner de Noël, on retente une 4e fois l’expérience : direction le caviste du village, à qui je demande sa meilleure bouteille. Pas forcément la plus chère, mais j’insiste, « le meilleur que vous connaissez ». Nouvel échec.
En fait je pense surtout qu’il y a une raison : monter des blancs en neige au fer à repasser, ce n’est pas une « technique ancestrale de pâtisserie qui s’est perdue », c’est juste une connerie. Donc la « disparition d’Europe du cépage », n’est pas une négligence de vignerons coupant trop court pendant les vendanges, mais assurément le fruit d’une recommandation de l’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire qui en avait marre de voir des gencives abîmées par des breuvage corrosifs.
Et le vin rouge me direz-vous ? A peine mieux, une sorte de Beaujolais Nouveau artificiellement vieilli en rajoutant des copeaux de chêne pour masquer la jeunesse, car ils ne vinifient en fût qu’un an pour la majorité. Pour être complètement honnêtes, nous aurons par la suite l’occasion de découvrir de bonnes bouteilles issues de la vallée de Mendoza, plus au Sud ; mais la zone de la Rioja fait penser au premier collier de nouilles rapporté par un enfant pour la Fête des Mères : « C’est bien mon chéri, on est très fiers de toi », mais c’est pas une raison pour refaire la même à la Fête des Pères et à Noël. Bravo les gars, faire du vin à 2600m est probablement difficile, mais est-ce que nous on s’amuse à vendre du Roquefort de Guadeloupe ?

On aime les canaux de Tigre. Cette ville « balnéaire » du delta du Rio de la Plata est un des coins de villégiature en WE des buenosaériens aisés. Les petites installations de chariots sur rails pour descendre à l’eau les avirons depuis les Club House cossus donne à l’ensemble un côté anglais Oxford – Cambridge sur la Tamise assez désuet mais tout à fait charmant.
C’est ainsi que s’achève ce joli parcours dans le Nord du pays. Il est temps de remercier les parents de Brieuc, venus si loin pour le plaisir de partager un bout du voyage. Pour nous, la suite continue vers le Sud du pays, direction la Patagonie.

Si vous voyez des sanctuaires sur la route avec des bouteilles d’eau en plastique, il s’agit d’un hommage au mythe de la Sainte “Difunta Correa”. C’est l’histoire d’une femme avec son nouveau-né qui a suivit l’armée dans laquelle son mari avait été engagé de force car elle craignait pour sa santé et ne pouvait vivre sans lui. Par manque de vivre, elle mourut de soif. Le lendemain, on l’a retrouva ainsi avec son bébé toujours vivant en train de téter son sein. Ce fut le premier des miracles de la Difunta Correa. La légende dit que par la suite plusieurs personnes se sont recueillis sur sa tombe et ont eux aussi reçu différents miracles. Depuis, on rend hommage à cette sainte à de nombreuses reprises sur la route
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Merci pour l’explication !
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ai beaucoup apprécié la soirée de tango
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