Avant de rejoindre l’Argentine pour un road-trip de Noël avec les parents de Brieuc, nous avions juste le temps d’un dernier détour quelque part. Sous l’insistance vigoureuse et salutaire de certains d’entre vous déjà passés dans le coin, nous avons consenti à nous taper 27h de bus et 3 passages de frontière terrestre en 4 jours pour le seul plaisir de s’enfermer dans un 4×4 avec des inconnus pendant 3 jours.
Après une nuit de bus et un passage de frontière nous voilà donc à Uyuni, une bourgade minière du sud de la Bolivie qui n’a aucun intérêt à part celui d’attirer les touristes qui, comme nous, souhaitent se lancer à la découverte du Salar, le plus grand désert de sel du monde qui borde la ville. Mais pour visiter le coin, il faut nécessairement prendre un tour organisé, c’est-à-dire se faire trimballer confortablement mais sans imagination de site en site sur 700 km de pistes, avec les inévitables pauses chez les artisans partenaires garantis 100% production chinoise locale, et les photos trop originales prévues à l’avance.
A défaut d’avoir le temps d’une autre option, on a donc remballé nos désirs d’aventure et nous voilà donc embarqués dans un des 65 Toyotas Landcruisers qui partent ce matin-là du village (en saison ça peut monter à 250 par jour), avec à nos côtés, en plus d’un chauffeur-guide, un couple de coréens tout-juste retraités et deux étudiantes latino-américaines en géologie.
Le seul avantage qu’on voyait dans un tel tour organisé, c’est qu’avec 72h en continu en petit groupe, normalement il y a moyen de rigoler un peu. Mais pas de bol, les coréens, comme tous les chinois, étaient fourbes, et de toutes façons on ne comprenait pas leur mauvais anglais (ils nous parlaient tout le temps d’une histoire de frère à Gstaad). Les deux étudiantes étaient souriantes mais mutiques. Le chauffeur n’était en fait que chauffeur et pas guide (quelle surprise) et les apprenties géologues ne l’ont pas beaucoup aidé à corriger les explications faiblardes et erronées données sur la formation du Salar (pourtant, c’est pas sorcier…).
Trêve de lamentations, si l’intérieur de la voiture aurait pu être mieux, l’extérieur s’est révélé absolument fascinant. Bien qu’ayant vu 50 fois des images du coin, rien ne peut rendre l’émotion de contempler de ses propres yeux ce paysage blanc à perte de vue où le ciel et le sol jouent à perturber l’horizon, ces paysages martiens à n’en plus finir, les chaînes de sommets volcaniques à plus de 6000m, les merveilles de formations géologiques et autres lagunes parsemées de flamants roses nonchalants.


Un grand détour qui en valait vraiment la peine et une arrivée en flux tendu à l’aéroport de Salta au nord de l’Argentine pour accueillir les parents de Brieuc à leur sortie de l’avion.
Islande ou Bolivie ?
Tout au long du trajet, on s’est souvent dit que les paysages ressemblaient sur plein d’aspects à ce qu’on avait pu voir en Islande, où on avait été cet été.
C’est donc l’occasion de vous tester dans un petit quiz en 6 questions qu’on vous a préparés : Islande ou Bolivie ?
Cliquer sur le lien ci-dessous si ça n’apparaît pas directement :
https://quiz.tryinteract.com/#/5c2faadef8dfb700141826cf?method=iframe
La rencontre de la semaine : 4€ d’adrénaline policière
En réservant le tour, la responsable nous explique tranquillement que, pour le passage de frontière Bolivie vers le Chili, il faut payer aux douaniers 15 Bolivianos, soit 2€ par personne. On sait que c’est le seul poste frontière du pays où il faut faire ça, et les touristes s’en plaignent, mais il n’y a rien à faire, il faudra payer. C’est ça Micheline, cause toujours.
Car cette requête, plus désagréable que réellement contraignante, nous a rappelé le souvenir de notre guide de ski de rando d’il y a 2 ans. Passionné d’ornithologie, celui-ci se faisait chaque année 1 mois d’observation d’oiseaux dans des pays exotiques, et nous avait servi lors des repas moults anecdotes sur les demandes de bakchich auxquelles il avait dû faire face pendant ses séjours.
Il nous avait expliqué refuser systématiquement en attendant que les fonctionnaires / policiers / douaniers se lassent et le laisse partir. En l’écoutant, on s’était dit que son air lunaire cumulé à sa mâchoire prognathe devait aider à ce qu’on le prenne pour une buse en vadrouille et décourager ses assaillants. Mais, quand même, l’aplomb et le courage de sa posture semblaient fonctionner.
Pendant les 3 jours de trajet, ayant bien eu le temps de ressasser cette perspective de corruption organisée à la frontière, ça a rappelé ce souvenir et fait jaillir une envie de rébellion touristique. Une idée fixe et l’envie d’en découdre. C’est ainsi que parvenus au poste frontière, et après 30 min de queue en extérieur à 4000m dans le vent glacé de l’Altiplano, le destin de la corruption en Bolivie allait se jouer. Requiem pour un douanier, Les 4€ de la colère, Un gros taquet pour un petit tampon seraient les gros titres de la presse Bolivienne le lendemain.
Au moment de se présenter pour faire le coup de tampon réglementaire sur le passeport, les-dit douaniers réclament leur obole.
- Je n’ai pas d’argent.
- C’est 15 Bolivianos.
- J’ai pas d’argent et je ne paierai pas.
- Il faut payer, votre agence a dû vous l’expliquer. C’est quoi le nom de votre agence ?
- Je ne sais plus, mais de toutes façons je n’ai pas d’argent.
Là le douanier s’arrête et me regarde fixement dans les yeux. L’heure de vérité, l’instant où il ne faut pas craquer. Une faille dans le mental et la bataille est perdue. Pour me préparer, j’ai fait remonter mes colères les plus intimes et les plus profondes : la fois où j’ai été servi en dernier un jour de chandeleur et il n’y avait plus de Nutella, la défaite de Federer contre Nadal en finale de Wimbledon en 2008 alors que le 5e set aurait dû être interrompu par la nuit, le chauffeur de taxi qui nous avait arnaqué de 10€ en Grèce en 2017. Toute cette rage, cette violence contenue, cette lame de fond qui se lève contre les abus, cette force intérieure faisait briller mon regard d’une telle intensité que ce pauvre fonctionnaire, engoncé dans son siège comme une goutte d’eau face à une marée humaine assoiffée de justice, n’avait aucune chance et le comprit bien vite.
Après 3 secondes à fixer mes prunelles, il baisse les yeux sans rehausser les sourcils, prend l’important et obligatoire papier officiel de transit remis à l’entrée dans le pays et sans lequel on est bloqués à la sortie, tamponne mon passeport et me le rend.
Au tour d’Hélène. Le temps qu’elle passe et dans la joie de ma victoire, je sors de la cahute pour haranguer la foule et informer tous les opprimés en vacances qu’un autre monde est possible. Congés payés de toutes les nations, unissez-vous contre la barbarie en uniforme ! Une bataille de regard ou peut-être même un combat de pouces, et c’est le destin de 10km de frontière qui peut basculer.
Mais Hélène ne ressort pas. Je rentre dans la cahute. Elle a perdu le papier de transit délivré à l’entrée sur le territoire. Les douaniers réclament 50 Bolivianos pour le lui refaire et lui rendre son passeport.
On aime – On n’aime pas
On aime et on remercie le chauffeur de taxi chilien (encore un chilien sympa, y’a pas de hasard) sans qui on n’aurait pas vu le 1/4 de tout ça. A 5h30 du matin après une nuit de bus, on doit faire un transit entre 2 gares routières de la ville. Il nous interroge pendant le petit trajet et réalise qu’on est en train de se tromper de terminal de bus, fait demi-tour et va jusqu’à se garer en travers en pleine ville devant le bon bus pour le stopper et nous permettre de monter en négociant avec le chauffeur. 3 min de discussion qui nous a fait gagner 2 jours de trajet.
On aime les cactus qui envoient des messages explicites aux douaniers boliviens.

On aime le monument du Dakar, sans doute un hommage à notre ensablement au Chili. Construit, comme les maisons autour du Salar, intégralement en bloc de sel. Sel qui provient non pas d’une ancienne mer qui se serait évaporée comme le racontent les guides du coin ou les jeunes géologues ayant visiblement mal révisé leurs partiels, mais de la lente remontée des nappes phréatiques d’eaux millénaires chargées de minéraux.

On aime le fer à lisser qui permet de se faire passer pour un allemand à la frontière.

On n’aime pas la ville d’Uyuni, qui a bien souffert de l’explosion touristique et démographique (de 10 000 habitants en 2001 à 35 000 aujourd’hui) : une sorte de Grande-Motte de sel.
On aime bien ce qu’on a vu de la Bolivie mais on comprend pas pourquoi ils ont fait 2 pays avec le Pérou.
– Nous, notre spécialité, ce sont les montagnes, les lamas et les Incas. On s’habille en Poncho multicolore et on bouffe des feuilles de Coca.
– Et mais attend, nous aussi !
– Oui mais nous, c’est pas pareil quand même : on a été libérés des espagnols par Simon Bolivar, et notre vraie langue, c’est pas l’espagnol. On a notre vrai langue à nous, et c’est le Quechua. Et manque de bol on est pauvre parce qu’on s’est fait piller les ressources minières du pays depuis 5 siècles.
– Oh mais c’est fou, ça, nous aussi !
Bon les gars, faut peut-être tirer une conclusion, non ?
On aime se faire cuisiner des pâtes sauce tomate-champignons par un italien dans la cuisine de l’auberge de jeunesse. Parce que ses standards italiens de « expérimental et raté » restent bien supérieurs à tout ce qui se mange à 2000km à la ronde.
On aime les coréens, définitivement nos meilleurs clients pour la mise en abyme.


On aime les photos kitchs au coucher du soleil, une idée de notre chauffeur, on s’est laissés faire, notre esprit critique était certainement altéré par une journée de soleil du désert et par tous ces coréens qui font n’importe quoi, mais quoi qu’il en soit, on vous partage ce moment.
Suite des aventures bientôt, avec notre road-trip argentin. Attention, ça va piquer.
Encore un bel article, gros kif !
Merci
PS : le doublé RG-Wimbledon de rapha c’est en 2008, et l’argument de la nuit qui tombe vaut pour les 2 🙂 Vamos !
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Merci pour cet article !! J’avais adoré le salar, à cette époque il n’y avait personne que nous ! Aucun problème à la frontière, on avait juste échangé les 4*4 neufs et propres des chiliens grands et. beaux contre les 4*4 pourris et pas très propres des boliviens petits mais super gentils.
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